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Critiques
par Thomas Mourier - le 26/03/2024
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par Thomas Mourier - le 26/03/2024

« Faire une BD, c’est pire que Koh-Lanta ! » Interview d’Anaïs Halard & Amélie Clavier

Avec Ambroise et Louna Amélie Clavier signe sa première bande dessinée, tandis qu’Anaïs Halard ajoute un genre nouveau à sa bibliographie. On découvre l’histoire de Louna, Paula, Ambroise et Joséphine à travers le fil rouge de l’amour, qu’il soit passionnel, familial ou sacrificiel…

Au cœur de cette histoire deux sœurs jumelles, toutes deux trapézistes dans un cirque itinérant, qui vont s’éloigner de par leurs ambitions de vie puis se rapprocher soudainement d’une manière étonnante. Une histoire amoureuse complexe, à plusieurs niveaux de lecture, qui permet aux autrices de mettre en scène des vies complexes dans un cadre bucolique, avec un dessin tout à la peinture. 

Difficile d’en dire plus sans trop en dévoiler, mais laissons la parole à Anaïs Halard & Amélie Clavier pour en dévoiler quelques aspects et parler des coulisses de l’album. 

Ambroise et Louna est une fresque romantique avec des histoires d’amour, de trahison, les sacrifices et les révélations… le conte de fées et le conte cruel sont intimement mêlés, vous êtes partie avec l’idée d’en faire un conte philosophique ? 

Anaïs Halard : Je ne voulais rien critiquer. Au contraire, je voulais seulement observer sans juger aucun personnage. Il n’y a pas de morale, surtout pas. 

Anaïs Halard / ©DR

Par amour on peut faire des choix étranges, mais peut-on les juger ? Vous feriez quoi, vous, pour votre enfant, votre amour, votre famille, votre meilleur.e ami.e ?

Un des personnages ne veut pas voir la vérité, un autre demande l’impossible, l’autre accepte…. Ils ont différentes raisons intimes qui les poussent à faire ces choix qui sont aussi par amour. Ils font tous un choix, ils sont tous responsables et on ne peut pas les blâmer. Je respecte leur choix à tous les trois. 

Cette manière de construire les récits n’est pas ou plus si fréquente en bande dessinée, elle évoque la littérature du 19e ou les films des années ’50, comment vous vous êtes rencontrées sur ce projet ? 

Amélie Clavier / ©DR

Amélie Clavier :  Anaïs m’a contactée après avoir vu mon travail grâce à une amie commune. J’ai tout de suite été séduite par l’univers et l’histoire qu’elle me proposait, c’était étonnant, original et assez éloigné de ce que je dessinais à l’époque. Comme elle, j’ai toujours adoré les vieux films et le 19e siècle, nous nous sommes vraiment trouvées là dessus.

A.H. : J’ai tout de suite senti dans le dessin et les couleurs à l’aquarelle d’Amélie un goût commun et des références esthétiques communes. Après une rencontre, je savais que ça collerait toutes les deux et on a commencé l’aventure, car faire une BD, c’est pire que Koh-Lanta !

C’est un album qui questionne le mensonge, mensonges par omission, mensonges qu’on se fait à soi même, pour protéger les autres… les thématiques ou le cadre du cirque avec ses faux-semblants, sont venus avant les personnages ? 

A.H. : Le cadre est venu après. J’ai d’abord pensé à deux sœurs, puis à un amour qui viendrait perturber ce lien. Puis mes lectures du moment m’ont inspiré le cadre circassien.

Pour moi, le thème central de l’histoire réside davantage dans le sacrifice que dans le mensonge. Ces personnages oublient leur propre intérêt pour le bien des autres. Je suis assez admirative d’eux. 

© Anaïs Halard / Amélie Clavier / Jungle RamDam

Le thème du double, de la gémellité qui ouvre à l’étrangeté dans l’univers du cirque évoque Freaks de Tod Browning ou encore certaines œuvres de Suehiro Maruo, mais avec un côté moins cruel, quelles étaient vos inspirations ? 

A.H. : Vous venez de citer mes deux références préférées. Je suis démasquée ! J’adore Maruo !

Je lisais à cette époque aussi les Monstres de Martin Monestier. Je travaille très souvent autour de la thématique du paria. Comme les bourreaux, les lépreux… Par contre, je ne sais pas pourquoi.

A. C. :  Anaïs m’avait envoyé beaucoup de références photo de cirques anciens et de films à regarder. Je me suis donc beaucoup inspirée de ces vieux films tels que Trapèze, La Strada, effectivement Freaks, Le Cirque de Chaplin, La Fille sur le pont, Nightmare Alley (1947 et 2021), Chocolat, Mme Muire etc…

J’ai aussi regardé beaucoup d’archives photo de Tziganes, j’ai visité le Musée des Arts forains à Paris, lu des livres documentaires magnifiquement illustrés sur le monde du cirque.

Pour le personnage d’Ambroise j’ai beaucoup pensé à Daniel Day Lewis notamment dans Gang of New York et à Paul Cinquevalli, un des plus grands jongleurs du 19e siècle, dont Anaïs m’avait parlé. Elle m’a aussi suggéré d’accentuer sa moustache. Pour Paula et Louna, j’ai voulu leur donner un côté un peu gitane. Peut-être ai-je pensé aussi un peu à ma mère plus jeune. 

© Anaïs Halard / Amélie Clavier / Jungle RamDam

La narration est faite d’ellipses et vous avez utilisé pas mal de pleines pages, de médaillons dans les interchapitres qui éclairent ou figent certains éléments, mais ils donnent aussi une impression de “véracité” même si c’est une fiction, comment et pourquoi vous avez imaginé ce dispositif ? 

A. C. : Personnellement j’avais envie de ces médaillons dès le début, mais le récit ayant pas mal bougé, ils sont finalement arrivés en fin de réalisation pour séparer les époques. Ce sont surtout des dessins que j’ai fait au début pendant les recherches ce qui donne un côté moins anecdotique je trouve. 

Pour les pleines pages, certaines étaient prévues dans le scénario et il me semble qu’on en a ajouté une. C’est vrai que de mon côté j’aime beaucoup ces grandes respirations, et je me fais plaisir à dessiner une attitude, une atmosphère plus poussée que dans les pages découpées. Je trouve que ça permet de faire une pause contemplative et de réfléchir à ce que l’on vient de lire ou de se projeter dans ce qui arrive, en tout cas dans cette histoire d’amour là. 

A.H. : On avait prévu d’abord un travail plus linéaire, mais c’était moins intéressant, on a testé comme ça et ça marchait super bien. Puis ça permettait de ne pas avoir à faire un travail graphique trop évident comme mettre le récit du passé en sépia ou ce genre de chose.

© Amélie Clavier

Amélie, tu travailles à la couleur directe ? Quels sont tes outils ? 

A. C. : Oui je travaille à l’aquarelle, au critérium et au crayon noir. Je retouche ensuite un peu sur Photoshop. J’utilise un papier épais satiné et pour Ambroise et Louna j’ai ajouté quelques touches de peinture dorée.  

Je crois que tu pratiques le carnet de croquis régulièrement ? Je te demande ça, parce que dans l’album on sent une grande attention portée aux décors, les environnements évoluent comme les personnages…

A. C. : Merci de l’avoir noté ! Oui effectivement j’aime beaucoup le carnet de voyage que je pratique depuis longtemps, dès que je pars en vacances surtout. Le travail des paysages, des intérieurs me plaît énormément (surtout les vieilles maisons, les vieux objets) ainsi que le travail des ombres et lumières. J’essaie de les traiter comme des personnages à part entière, qui viennent soit renforcer le propos de la scène soit rendre plus doux des moments difficiles. 

Dans une interview de Jérôme Lachasse sur la “crampe de l’écrivain”, tu parles des douleurs et de conseils pour soulager tes mains, la couleur directe est plus fatigante que le dessin traditionnel ? 

A. C. : Le dessin traditionnel c’est à dire, sans couleur ? Désolée je ne suis pas sûre d’avoir compris la différence entre couleur directe et dessin tradi ! Je fais des crayonnés et ensuite je mets au propre sur un papier spécial avant de les peindre. 

© Anaïs Halard / Amélie Clavier / Jungle RamDam

Je pensais au dessin en tradi puis couleur à l’ordi…

A. C. : La peinture me fait moins mal que le crayon qui me fait moins mal que la tablette graphique et l’ordinateur.

Mais j’imagine que c’est différent pour chaque dessinateur et une question d’habitude. J’aime le beau papier, le bruit et la sensation du crayon sur la feuille et essayer de trouver une ambiance colorée qui me plaît à la peinture est très épanouissant. Pour les douleurs c’est surtout lié aux nombreuses heures de travail d’affilée plus qu’à une technique, je pense…

Pour l’anecdote, je n’ai pas eu mal du tout pendant ce travail BD, car j’étais enceinte jusqu’à la fin du story-board et ayant ensuite allaité pendant la mise en couleur, les hormones qui rendent les muscles hyperlaxes m’ont beaucoup aidée, je crois ! Même si par ailleurs la fatigue et le nombre d’heures étaient plus durs à gérer.

Après Ambroise et Louna, vous travaillez sur un nouveau projet ? 

© Anaïs Halard / Amélie Clavier / Jungle RamDam

A. C. : Nous travaillons chacune sur des projets différents, mais peut-être un jour ferons-nous quelque chose ensemble à nouveau ! En tout cas je l’espère.

De mon côté je pense avoir trouvé le prochain projet qui sera une bande dessinée, mais comme rien n’est signé encore je préfère ne pas en parler, car tout peut encore changer ! Je fais un peu d’illustration en attendant de me lancer à nouveau dans ce long travail.

A.H. : MAIS OUI !!!! Bien sûr qu’on travaillera ensemble ! Le plus vite possible !

D’abord je dois terminer quelques épisodes des mes séries jeunesse comme Au chant des grenouilles co-écrit avec Barbara Canepa, Sacha et Tomcrouz avec Bastien Quignon, Les Chevaliers de l’étrange avec Giusy Gallizia et en adulte Assassins d’Etat dont le tome 1 sera dessiné par Olivier Deloye et qui sortira en octobre et quelques autres livres en cours, mais j’ai déjà en tête des histoires pour Amélie !

J’espère que cette interview vous a donné envie de lire cet album et découvrir le travail d’Amélie Clavier et Anaïs Halard. 

Ambroise et Louna d’Anaïs Halard & Amélie Clavier, Jungle RamDam


Toutes les images sont © Anaïs Halard / Amélie Clavier / Jungle RamDam

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